Mon frère m’apprend encore l’amour
- Alison Sarah
- 16 mai
- 9 min de lecture

Quand mon petit frère est parti, tout s’est figé.
Le temps, le corps, la pensée.
Je n’avais plus de repères. Juste un cœur en éclats et une présence absente, partout.
Dans les jours qui ont suivi, j’ai traversé ce que beaucoup connaissent mais peu osent dire : ce sentiment vertigineux de vacuité, cette sensation qu’un bout de moi avait été arraché, comme si l’histoire n’avait pas eu le droit de se terminer ainsi. Il y avait tant d’inachevé. Tant d’amour, tant de projets, tant de silences à combler.
Et pourtant, au milieu de cette douleur sourde, une voix intérieure, douce, presque murmurée, m’a rappelée à un autre espace.
Pas celui de la logique. Pas celui des réponses.
Mais celui du souvenir.
Le souvenir que ce que je suis, ce que mon frère est, ce que nous avons partagé… n’est pas fini.
Et surtout, n’est pas né de ce monde.
Mon frère EST l’Amour avec lequel je l’aime.
C’est là que, plus que jamais, j’ai cherché des réponses dans Un Cours en Miracles.
Et la toute première chose que j’ai faite à l’annonce de son départ, ça a été d’appeler mon ami et enseignant.
Je crois que je me souviendrai toujours de ce qu’il m’a dit à ce moment-là, avec une clarté qui m’a transpercée :
« Tu ne m’as pas appelée pour que je te raconte des banalités. Arrête de penser que ton petit frère est parti. Arrête de penser que tu es séparée. Et tu l’entendras, tu le sentiras de plus en plus. »
Ces mots n’étaient pas un refus de la douleur, mais une invitation à ne pas m’y noyer.
À reconnaître qu’au cœur même du chagrin, il existe un autre regard, un autre monde.
Un monde où l’Amour ne connaît ni distance, ni absence.
Un monde où ce que nous sommes ne peut jamais être arraché.
Et à cet instant, une faille s’est ouverte dans ma perception.
Comme si, en plein chaos, une brèche de lumière venait m’indiquer une sortie.
Pas une sortie vers le déni, mais vers la mémoire.
La mémoire de ce qui est réel.
Ce que l’on appelle « la fin » n’est pas ce que je croyais
L’un des enseignements les plus radicaux du Cours dit ceci :
« La mort est la pensée sous-jacente à toute forme de peur. »
Et encore :
« La mort n’existe pas. Le Fils de Dieu est libre. »
Je me suis longtemps battue intérieurement avec cette idée.
Comment peut-on dire que rien n’est terminé, quand je ne peux plus toucher, appeler, entendre celui que j’aime ?
Comment ne pas ressentir cela comme un déni, voire une violence ?
Mais peu à peu, à travers les larmes, à travers les moments de silence profond, j’ai compris.
Ce que nous appelons “mort” n’est pas un acte divin. C’est une perception, un symbole au sein d’un rêve.
C’est l’idée que quelque chose de réel peut être détruit.
C’est la croyance que l’amour est fragile, temporel, dépendant du monde.
Et ce que je ressens, profondément, c’est que l’amour entre mon frère et moi n’a pas été réduit à néant.
Il est là.
Il pulse différemment. Il circule ailleurs.
Mais il n’a jamais cessé.
Le pardon comme retour au vrai
Le pardon n’est pas une réponse à une offense. Ce n’est pas un acte moral, ni une obligation spirituelle.
C’est une ouverture.
Une reconnaissance que ce que je perçois comme douloureux vient toujours de ma propre interprétation, et que cette interprétation peut être déposée..
Le pardon, tel que l’enseigne Un Cours en Miracles, n’efface pas la douleur d’un seul coup, mais il commence là où je cesse de croire que cette douleur dit quelque chose de vrai sur qui je suis, ou sur ce qu’est l’autre.
Il ne justifie pas, il ne nie pas. Il désarme.
Il désarme l’ego qui se nourrit de perte, d’injustice, de rupture, pour me ramener à ce lieu intérieur où il n’y a pas de séparation.
Pardonner, dans ce contexte, ce n’est pas « pardonner la mort », c’est reconnaître que ce que cette absence semblait signifier, la fin, la coupure, n’est pas réel.
La tentation de la culpabilité
Dans ce processus, une des voix les plus tenaces a été celle de la culpabilité.
Elle s’est glissée partout : dans les silences, dans les décisions passées, dans les diagnostics médicaux, dans l’hérédité.
Elle a désigné des coupables, les médecins, la famille, lui, moi.
Elle cherchait à attribuer une faute, comme si donner un sens passait forcément par la condamnation.
Mais Un Cours en Miracles enseigne que la culpabilité est la racine de toute souffrance.
Et qu’elle n’est jamais justifiée.
La culpabilité est une invention de l’ego pour maintenir la croyance en la séparation : s’il y a faute, il y a jugement ; s’il y a jugement, il y a distance.
Ce que le Cours m’a montré avec une infinie tendresse, c’est que personne n’est coupable de rêver.
Mon frère ne l’est pas.
Je ne le suis pas.
Personne ne l’est.
Le seul vrai pardon consiste alors à renoncer à chercher une cause dans le monde, et à revenir à l’Esprit, là où aucune faute n’a jamais été commise.
Là où il n’y a que de l’innocence oubliée, prête à être reconnue.
Et puis, la colère contre Dieu
Dans les jours qui ont suivi, cette annonce brutale, j’ai reçu de nombreux messages, des appels bouleversés, des voix pleines de compassion, mais aussi de détresse. Et parmi elles, cette question est revenue encore et encore, presque mot pour mot :
« Mais qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu pour mériter ça ? »
« Pourquoi Dieu a-t-il permis qu’un être si jeune, si lumineux, parte ainsi ? »
J’ai entendu cette douleur, cette colère qui cherche une cible, cette tentative humaine de rendre l’incompréhensible plus supportable en pointant un coupable, même divin.
Mais je n’ai pas pu m’empêcher de sentir que derrière cette question, ce n’était pas vraiment Dieu qu’on attaquait, c’était la confusion.
C’était l’écho d’un monde qui nous a appris à croire que Dieu juge, qu’Il punit, qu’Il prend et qu’Il décide.
Un Dieu à l’image de notre peur.
Mais Un Cours en Miracles affirme autre chose. Il dit :
« Dieu ne connaît pas la mort. »
« Il n’a pas créé un monde de souffrance, de séparation ou de fin. »
Et surtout :
« L’Amour n’a oublié personne. »
Cette phrase est devenue pour moi un repère. Un ancrage.
Il n’y a pas d’oubli dans l’esprit de Dieu.
Il n’y a pas d’abandon, pas d’erreur, pas de tragédie infligée depuis les hauteurs.
Il n’y a que la mémoire d’un amour parfait, toujours présent, même lorsque nous n’y avons plus accès depuis notre perception blessée.
Si Dieu n’a pas créé ce monde tel que nous le percevons, c’est que la souffrance que nous y voyons ne peut venir de Lui.
Elle vient d’un esprit endormi, d’un rêve de séparation que nous avons collectivement choisi.
Mais Dieu, Lui, ne rêve pas. Il ne retire rien. Il ne nous juge pas pour notre peine, ni pour notre colère. Il ne demande pas que nous soyons calmes ou sages. Il nous accueille dans chaque état.
Et dans ma propre traversée, j’ai dû reconnaître que moi aussi, parfois, j’ai ressenti cette révolte sourde :
Pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ?
Et puis, je me suis souvenue : Dieu ne m’a pas enlevé mon frère.
Dieu ne m’a rien enlevé.
C’est la perception que j’ai du monde, du corps, du temps et de l’amour qui me fait croire qu’on peut perdre.
Alors non, Dieu n’a pas voulu cela.
Mais Il peut s’en servir.
Il peut, à travers ce que je croyais être une tragédie, me montrer un autre chemin.
Un chemin de mémoire. Un chemin de retour.
Pas un Dieu qui donne et reprend, mais un Dieu qui rappelle que rien n’a été perdu.
Un Dieu qui, au plus fort de ma douleur, ne me dit pas « C’est bien », mais « Je suis avec toi. Même ici. Même dans ton cri. »
Et peut-être que c’est ça, finalement, le vrai miracle :
Quand la colère n’a plus besoin d’une cible, mais devient une porte.
Une porte vers une prière qui ne demande plus : « Pourquoi as-tu fait ça ? »,
Mais qui commence doucement à dire :
« Aide-moi à voir au-delà. »
Il est en nous, comme nous sommes en lui, parce que dans l’amour, il n’y a ni dehors ni dedans, seulement l’unité qui jamais ne se sépare.
La leçon silencieuse d’un frère en apparence ordinaire, et pourtant un si grand maître.
Je crois qu’un autre des grands cadeaux que m’a laissés mon frère, c’est ce questionnement.
Parce que, tu vois, mon petit frère n’était pas spirituel.
Pas de grandes théories. Pas de discours. Pas de méditations. Pas de temples.
Et naturellement, je me suis demandé :
Que va-t-il se passer pour lui ?
Puisqu’en apparence, il n’avait pas cheminé vers Dieu (Vers l’Amour) du moins consciemment ?
Parce que mon esprit, encore attaché aux formes, cherchait à comprendre, à classer, à juger ce qui serait « suffisant » ou non, ce qui était « accompli » ou pas.
Et pourtant… dans ces jours d’après, on m’a montré combien il était la bonté incarnée, combien il ne jugeait jamais personne, combien il voyait l’amour en chacun, même là où d’autres voyaient des défauts, des limites, des histoires passées.
Et ça m’a profondément bousculée.
Parce que, dans mon esprit, je croyais que ceux qui « suivent un chemin spirituel » étaient censés être les plus éveillés, les plus avancés, les plus dans la pratique.
Mais Un Cours en Miracles enseigne que la forme importe peu.
Que le contenu est tout.
Que la seule chose qui compte est l’intention derrière nos actes, nos pensées, nos gestes.
Que « l’amour ne s’enseigne pas, il se reconnaît. »
Que « le pardon voit simplement au-delà de ce que les yeux du corps perçoivent, pour ne voir que l’innocence. »
Et je crois que mon frère m’a donné, par sa simplicité, une des plus grandes leçons d’amour inconditionnel.
Il ne cherchait pas à être quelqu’un de bien.
Il n’essayait pas d’être un « bon frère », un « bon ami », ou un « bon thérapeute ».
Il était juste là, pleinement là, avec un cœur ouvert, sans défendre d’image, sans costume spirituel.
Et le Cours est venu me souffler doucement que le pardon, c’est exactement ça : ne pas juger, accueillir ce qui est, tel que c’est, sans vouloir corriger, sans vouloir comprendre.
Peut-être que lui, sans le savoir, vivait déjà ce que beaucoup passent leur vie à chercher.
Peut-être que le cœur ouvert d’un homme simple vaut plus que mille mots savants.
Et peut-être que c’est moi, encore, qui apprends de lui.
Accueillir la douleur sans s’y attacher
Oui ça fait mal
Kenneth Wapnick disait souvent que ce n’est pas le fait d’avoir mal qui est le problème, c’est ce que nous faisons avec la douleur.
Il répétait aussi que nous n’avions pas à nous sentir coupables d’avoir mal. Que la tristesse, le chagrin, les larmes ne sont pas des échecs spirituels, mais des expériences humaines normales.
Et c’est ce que j’ai ressenti de tout mon être.
Il n’y a pas eu de transcendance immédiate.
Et c’est encore bien trop tôt au moment au j’écris ces mots,
Il y a eu des nuits sans sommeil, des sanglots sans mots, des jours où je ne savais même pas si j’avais envie de « comprendre ».
Juste pleurer. Juste marcher. Juste survivre.
Et je crois que c’est important de l’honorer.
Le deuil, comme le dit Kenneth, n’est pas à rejeter ni à spiritualiser trop vite. Il faut le laisser être ce qu’il est. Une traversée. Un processus. Un lent desserrement de l’étreinte de l’attachement.
Ce n’est pas incompatible avec l’éveil.
C’est juste que la douleur ne signifie rien en elle-même.
Elle ne fait que révéler ce à quoi nous tenions, ce que nous croyions être la vérité, un corps, une histoire, un futur, une présence visible.
Et l’Esprit Saint ne vient pas nier cette douleur, mais l’envelopper. Il vient doucement nous enseigner que ce à quoi nous pensions avoir dit adieu… est toujours là, sous une autre forme.
Kenneth ajoutait aussi que nous ne guérissons pas en attaquant la douleur, mais en la regardant avec douceur.
Alors c’est ce que j’apprends à faire.
Regarder cette souffrance, non pas comme une ennemie, mais comme une sœur perdue dans le rêve.
Lui dire : je te vois. Je ne te ferai pas taire. Mais je ne te croirai plus aveuglément non plus.
Ce que mon frère m’a appris en partant
Il m’a appris l’humilité.
Il m’a appris que je ne peux rien contrôler. Que je ne peux sauver personne.
Et que ce n’est pas un échec.
Il m’a appris que la vie ne se mesure pas à sa durée, ni à ce qu’on accomplit, mais à l’amour qu’on a su offrir, même en silence.
Il m’a appris que le lien ne meurt pas.
Qu’il peut même se rendre plus pur, plus vaste, quand on cesse d’attendre une forme pour le reconnaître.
Il m’a appris à prier sans mot.
À ressentir sans chercher.
Et peut être un jour à me souvenir sans souffrir.
Et maintenant ?
Je n’ai pas trouvé toutes les réponses.
D’ailleurs il est peut-être trop tôt pour écrire cet article mais peu importe.
Il faudra du temps, mais j’ai confiance dans ce qui ne s’explique pas.
Quelque part en moi :
Je sais que je n’ai rien perdu,
Je sais que mon frère est là, d’une autre manière,
Je sais que le pardon est la seule porte qui ouvre sur la paix.
Et chaque jour, je choisis d’ouvrir un peu plus cette porte
parfois doucement,
parfois en tremblant
mais toujours avec l’élan d’aimer au-delà des formes.
Parce qu’au fond, c’est de cela qu’il s’agit :
Rappeler à notre esprit qu’il n’est pas séparé.
Et que rien de réel ne peut être menacé.

À toi, mon frère… je t’aime plus que les mots ne sauront jamais le dire
Á tous ceux qui apprennent à voir au-delà du voile.
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