Quand le mental parle le langage de la non-dualité
- Alison Sarah

- 8 oct.
- 7 min de lecture

Il y a quelque chose de profondément ironique dans le chemin spirituel : plus on s’approche de la vérité, plus le mental apprend à se déguiser en elle.
Il lit les mots des sages, les comprend intellectuellement, les répète avec brio… et s’en sert pour construire un ego spirituel plus subtil, plus séduisant, plus brillant.
Il prétend s’être effacé, alors qu’il s’est simplement raffiné.
C’est pourquoi il existe aujourd’hui tant de confusion autour de la non-dualité : parce que l’ego adore parler au nom du silence.
Il cite les phrases les plus lumineuses, mais pour éviter de les vivre.
Il dit : « Tout est illusion », mais continue à juger.
Il dit : « Il n’y a rien à faire », mais se bat pour comprendre.
Il dit : « Tout est parfait », mais s’en sert pour nier la douleur.
La non-dualité, pourtant, ne nie rien.
Elle ne rejette pas le rêve ; elle le transfigure.
Elle nous apprend à voir le monde pour ce qu’il est : un écran mouvant où se projettent nos croyances, jusqu’à ce que la lumière qui les éclaire soit reconnue comme notre seule réalité.
« Tout est illusion »
Cette phrase est sans doute la plus célèbre — et la plus mal comprise.
Le mental s’en saisit pour se couper du monde : « Tout est illusion, donc à quoi bon ? »
Mais l’esprit éveillé entend autre chose :
« Tout est illusion, donc rien n’a le pouvoir de m’enlever la paix. »
Dire que tout est illusion ne veut pas dire que rien n’a de valeur, mais que la valeur ne se trouve pas dans la forme.
Cela ne signifie pas qu’il faut mépriser le rêve, mais reconnaître qu’il n’a pas de cause séparée.
Le monde n’est pas une erreur à fuir, mais un symbole à lire différemment.
Quand on comprend cela, on cesse de s’en détacher froidement.
On commence à le regarder avec tendresse, à écouter ce qu’il enseigne, à sourire à travers ses ombres.
Car c’est en le traversant avec amour que l’illusion se défait, et non en la rejetant.
« L’autre n’existe pas »
Voilà une idée qui choque, car elle semble nier les liens, les visages, les histoires.
Pourtant, cette phrase ne dit pas : « Je me moque des autres », mais :
« L’autre n’a jamais été séparé de moi. »
Elle ne nie pas la relation ; elle en révèle la nature.
L’autre que je vois n’est pas un être indépendant : il est le miroir vivant de ma propre perception.
C’est à travers lui que je me souviens ou que j’oublie.
C’est en le jugeant que je me condamne, et en le pardonnant que je me libère.
Le mental, lui, entend : « L’autre n’existe pas, donc je n’ai rien à ressentir. »
Mais la vérité est inverse : plus je reconnais que l’autre n’est pas séparé, plus je ressens profondément, car l’amour ne connaît plus de frontière.
L’autre n’existe pas comme entité autonome, mais il existe comme symbole sacré : celui qui m’offre l’occasion de voir au-delà de la peur.
« Il n’y a rien à faire »
C’est un piège très fin.
Le mental adore cette idée : elle lui donne l’impression d’être déjà arrivé.
Mais tant qu’il y a résistance, tant qu’il y a identification au manque, il y a quelque chose à défaire.
Non pas dans le monde, mais dans l’esprit.
« Il n’y a rien à faire » ne signifie pas : « Reste inerte et médite sur ton canapé. »
Cela veut dire :
« Cesse de fabriquer ; laisse la vie agir à travers toi. »
C’est une non-action pleine, vivante, inspirée.
Elle ne naît pas de la paresse mais de la confiance.
Elle ne fuit pas le mouvement ; elle s’y abandonne.
Le monde peut continuer à bouger, les décisions se prendre, les mots se dire — mais l’auteur en a disparu.
Il ne reste qu’un flux tranquille, où tout est fait sans effort, parce qu’il n’y a plus de “moi” pour faire.
« Tout est parfait comme c’est »
Combien se servent de cette phrase pour fermer le cœur ?
“Tout est parfait”, disent-ils, quand ils ne veulent pas regarder la souffrance.
Mais la perfection véritable ne s’oppose pas à la douleur : elle l’englobe.
Tout est parfait non pas parce que tout est agréable, mais parce que tout sert le retour à la paix.
Chaque instant, chaque rencontre, chaque résistance contient la graine de l’éveil.
Ce que l’amour voit, ce n’est pas une perfection de forme, mais une perfection de but.
Lorsque cette vision s’installe, on ne se force plus à positiver : on s’incline.
Même la tristesse devient une prière, la colère un appel au souvenir.
Et au cœur du chaos, un fil invisible de douceur continue de tout relier.
« Je crée ma réalité »
Dans le rêve spirituel moderne, cette idée est reine.
Mais le moi personnel ne crée rien : il imagine.
Il projette ses croyances, il peint le décor de ses peurs, et il appelle cela “créer”.
La vraie création n’appartient pas à ce niveau.
Croire que “je crée ma réalité” dans le monde, c’est simplement renforcer la croyance au personnage.
La seule “création” authentique est silencieuse, sans forme, intemporelle : c’est la joie même d’exister.
En revanche, je peux choisir comment je vois la réalité : avec la peur ou avec l’amour.
Et de ce choix découle tout le reste.
Ce n’est donc pas “ma réalité” que je crée, mais “mon regard” que je rends transparent.
« Il n’y a que l’instant présent »
L’instant présent n’est pas une seconde arrachée au temps : c’est l’éternité qui se glisse à travers lui.
Le mental en fait une technique, une gymnastique de pleine conscience.
Mais l’instant présent n’est pas quelque chose qu’on atteint ; c’est ce qui reste quand le temps s’efface.
Dans cet espace, tout le passé et tout le futur se dissolvent.
Ce n’est pas un refuge pour fuir la mémoire, mais l’endroit où elle peut être vue sans douleur.
L’instant présent n’est pas un moment à vivre, mais un regard à offrir.
C’est ici, maintenant, que tout peut être choisi à nouveau : la peur ou la paix.
Et dans ce choix silencieux se rejoue tout le destin du monde.
« L’éveil, c’est tout accepter »
Ce malentendu est fréquent : on confond l’acceptation spirituelle avec la passivité.
Mais accepter ne signifie pas tout laisser faire : cela signifie ne plus résister intérieurement.
On peut dire “non” dans la forme tout en demeurant en paix.
On peut quitter, poser une limite, s’affirmer — sans haine, sans besoin de punir.
L’acceptation ne se mesure pas à ce qu’on endure, mais à la qualité de présence avec laquelle on traverse ce qui est.
Celui qui accepte vraiment ne se laisse pas écraser par la vie : il s’y fond.
Et cette fusion ne le rend pas inerte, mais extraordinairement lucide.
« Il n’y a pas de bien ni de mal »
Ce n’est pas un appel au cynisme, mais un rappel de l’unité.
Le bien et le mal sont des catégories du rêve, utiles un temps pour structurer la morale, mais inexistantes dans la lumière.
Elles divisent ce qui ne peut être divisé.
Ne pas juger ne veut pas dire ne pas discerner.
Le discernement voit ce qui est aligné ou non, sans y ajouter la peur ni la honte.
L’amour ne ferme pas les yeux sur l’ombre ; il la voit clairement, mais sans condamnation.
Là où le jugement sépare, le discernement réunit.
« Je suis tout »
Une des plus belles vérités… et la plus dangereuse pour l’ego.
Car le mental la détourne aussitôt : “Je suis tout” devient “mon moi est Dieu”.
Et ainsi l’ego s’autoproclame absolu.
Mais le “Je suis” dont parlent les sages n’a rien à voir avec une personne.
C’est la conscience pure avant toute identité.
Ce n’est pas “je suis tout” dans le sens d’un empire à posséder, mais dans le sens où plus rien n’est exclu.
Le “je” disparaît dans sa source.
Et ce qui reste est un silence vaste, sans centre, sans bord.
« Le monde n’existe pas »
C’est peut-être la phrase la plus radicale, celle qui effraie le plus.
Mais elle n’est pas nihiliste.
Dire que le monde n’existe pas ne veut pas dire qu’il faut le rejeter ou l’ignorer ; cela veut dire qu’il n’a pas de pouvoir.
Il n’existe pas par lui-même ; il dépend du regard qui le perçoit.
Le monde est un rêve partagé, un décor symbolique, un grand théâtre d’apprentissage.
Le nier reviendrait à nier la scène sur laquelle la reconnaissance peut avoir lieu.
Le regarder avec amour, au contraire, c’est lui retirer toute réalité de peur.
Et c’est alors seulement qu’il peut s’effacer doucement, comme une brume au lever du soleil.
Le retournement silencieux
Toutes ces phrases sont vraies.
Mais elles cessent de l’être dès qu’elles servent à quelqu’un.
La vérité n’a pas besoin d’être brandie ; elle se révèle dans le cœur tranquille, au moment où l’on cesse de vouloir avoir raison.
Le mental parle de non-dualité ; le cœur la vit.
Et cette expérience n’est pas une idée : c’est la dissolution de toutes les idées.
C’est le retour du regard vers sa source.
Là, il n’y a plus ni maître ni disciple, ni bon ni mauvais, ni progrès ni échec.
Il n’y a que l’amour, reconnaissant l’amour.
Et le monde, soudain, redevient ce qu’il n’a jamais cessé d’être :
une lumière jouant à se cacher dans la forme,
jusqu’à ce que tu la reconnaisses comme toi.
« Quand je cesse de juger ce que je vois, le monde redevient doux.
Rien n’a changé, sauf le regard.
Et dans ce regard, tout s’unit.
Et dans ce regard, L'amour est »




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